En 2023, le jour du dépassement était le 2 août.

Ce jour correspond à la date à laquelle les humains ont consommé toutes les ressources que la Terre peut produire en une année. Pour les Français, ce jour est tombé le 5 mai. Si toute la planète consommait à notre manière, il faudrait près de 3 fois la planète Terre pour subvenir à nos besoins. (Chiffres donnés par Global Footprint Network, une organisation internationale à but non lucratif.)

Comment on en est arrivé là ?

C'est une des nombreuses conséquences de notre vision biaisée de la nature comme un réservoir de ressources intarissable : nous exploitons la nature sans considération pour ses limites.
Vous l'aurez compris : nous consommons de façon déraisonnée. En fait, la déconnexion avec la nature est telle que nous ne la voyons plus comme un environnement vivant avec lequel nous cohabitons, mais seulement comme un moyen, une réserve intarissable de ressources à exploiter.

Vous avez des idées pour résoudre ce problème ?

Nous allons chercher à renouer avec la nature en l'intégrant à notre culture. Il est avéré que l'humain a besoin de la nature pour exister : prenons l'exemple de Détroit, une ville américaine désertée dans laquelle les humains ont dû faire revenir la nature pour pouvoir à leur tour s'y installer.

Quel rapport avec la culture ?

Pour recréer ce lien entre humain et nature, une idée serait d'entrelacer la nature à la culture, une notion au cœur de l'humanité. Marcel Rioux, sociologue québécois, a notamment écrit que « le concept de culture […] peut se définir comme étant le processus d'éducation, de mise en valeur et d'intégration de l'homme tout entier.»

Alors, intégrer la nature à cette culture permettrait de transformer notre vision de la nature pour une plus saine ?

C'est l'idée.
Notre solution, pour aller dans ce sens, appelle à une anthropomorphisation de la nature : l'attribution de caractéristiques du comportement humain à la nature et ce qu'elle offre pour créer une forme d'empathie avec celle-ci.

Mais alors votre solution à cette déconnexion est de ramener la nature à une forme d'humanité au lieu de la voir telle qu'elle est déjà. Est-ce que vous n'êtes pas en train d'esquiver le problème au lieu de le prendre en compte ?

En pratique, oui.
Le projet LegumiStar s'inspire des émissions télévisées de concours de talents, tel un « The Voice » dans lequel les stars sont des fruits et légumes. On instaure alors un véritable star-system, une émission musicale organisée autour de la notoriété des vedettes.
Et les fruits et légumes n'ayant pas l'autonomie pour participer à la plupart des activités culturelles humaines, c'est le star-system de téléréalité qui paraît le mieux adapté : le légume n'a pas besoin de faire grand-chose mais sera tout de même au centre de l'attention.

Le problème avec cette solution, c'est que créer un star-system au sein de la nature, c'est intégrer la nature à l'un des aspects défaillants de la culture humaine : un pan de la culture basé sur notre superficialité et incitant au consumérisme.

En fait, LegumiStar ne cherche pas à sortir de ce mode de fonctionnement et va même jusqu'à truquer son émission pour favoriser les plus beaux fruits et légumes en modifiant le son entendu en fonction de l'aspect du candidat.

Vous pensez que le projet peut avoir des conséquences néfastes alors ?

Si l'objectif annoncé du projet est de revaloriser fruits et légumes dans l'esprit humain pour mener vers une nouvelle façon de produire et de consommer, les conséquences réelles seraient probablement une autre forme de surproduction d'une part et de gaspillage d'autre part : le but pour un participant est de cultiver LE légume qui sera la star, quitte à utiliser produits chimiques en abondance et à laisser de côté les légumes plus déformés.

Ah oui, ça n'arrangerait rien au gaspillage alimentaire !

Exactement, c'est le meilleur exemple de comportement déraisonné que le projet peut encourager. Que ce soit lors de la production elle-même ou au bout de la chaîne, directement chez les consommateurs, une quantité phénoménale de nourriture est jetée chaque année. En France, il s'agit de 10 millions de tonnes, soit près de 20% de la nourriture produite. (Source : Ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire)

Et là, avec la favorisation des légumes beaux, personne ne voudra du reste.

Effectivement, les « légumes moches », lorsqu'ils ne sont pas laissés de côté par les producteurs car invendables, sont peu appréciés des consommateurs à cause de leur aspect (déformé, ou comportant d'autres imperfections).
Si le concours a d'abord pour but de faire renaître une appréciation pour les légumes qui, entre autres, devrait diminuer ce gaspillage (puisque l'anthropomorphisation des candidats développerait notre empathie pour eux), le trucage qui favorise les « jolis » candidats n'incitera pas à plus de considération pour ces fruits et légumes délaissés.

Vous pensez qu'il y a de l'espoir pour ces pauvres légumes ?

Les pratiques déjà existantes de revalorisation des fruits et légumes « moches », comme une diminution de leur prix, ont plus d'impact que notre projet ne pourrait en avoir. Donc, oui ! Mais pas par LegumiStar ;